Ma fille, dès qu'elle est libérée dans un espace plus sauvage que le quartier Rosemont, enlève ses souliers, se farde de boue et tente de dompter les éléments (ou les enfants qui croisent son chemin, ça varie selon l'humeur). Elle est magnifique à cet état sauvage. Elle se couvre de bleus, d'égratignures, de piqures d'insectes et de crasse, mais elle est si sauvagement heureuse que mon coeur de mère se trouve doucement soulagé du poids de la culpabilité d'une année à la bousculer dans une plage horaire qui n'a rien de maritime.
Récemment, j'ai fait la connaissance d'un autre enfant sauvage. Tout sauvage qu'il soit, celui-ci, ne fait pas le même effet à mon coeur de mère. Non, pas le même effet du tout. Le mois dernier, il m'est apparu dans la ruelle. Il jouait avec les enfants. Il y en a des tonnes dans notre ruelle et, la fin de semaine, quand ils ont de la visite en plus, il est difficile de garder le compte de qui est à qui et qui est avec qui. Quand les enfants ont commencé à rentrer et que je suis allée chercher la mienne, il était là. 4 ans, pieds nus, à la recherche d'une auto ou d'un cagnion. Je ne le reconnaissais pas. Aucun des autres parents non plus. Il disait s'appeler X, mais chez nous on l'appelle Mowgli. C'est trop triste qu'il ait un vrai nom. Je l'ai trainé avec moi, j'ai fait la tournée des voisins pour trouver son appartenance. Mowgli, lui, il n'était pas inquiet. Sa maison, quand je lui demandais de me l'indiquer, correspondait à toute habitation susceptible de loger une auto ou un cagnion. Recherche infructueuse. Premier constat: il n'était pas de notre ruelle. En le prenant dans mes bras pour le monter chez moi, j'ai aussi pu constater qu'il était plus que souillé. Le sac de vêtements de ma fille en route vers le Renaissance a été libéré d'un jean taille 4 ans. J'ai guidé Mowgli vers les jouets où il a réussi à extirper deux autos (mais pas de cagnion) du fouillis de poupées, de bébés et de costumes de princesse. J'ai appelé la police.
Quinze minutes plus tard, une policière était à ma porte. Elle m'a posé quelques questions et m'a informée au passage que ce n'était pas la première fois que Mowgli faisait une fugue impliquant la police. Alors que je reconduisais Mowgli à la voiture de police, sa mère est arrivée. Ç'aurait pu être un moment de retrouvailles émouvantes où la mère serre son enfant, vérifie qu'il n'ait subi aucuns sévices et remercie la femme qui l'a trouvé, mais sur le trottoir de ma rue ce jour-là, ce n'est pas cette scène-là qui s'est jouée. La mère, mauvaise comédienne, a plutôt tenté de jouer la carte «je défends ma crédibilité parentale». Elle a réprimandé Mowgli de s'être sauvé et de s'être changé de vêtements en plus! Elle n'a jeté aucun regard à la femme qui a évité les sévices à son enfant et est partie avec la policière.
Deux semaines plus tard, je me suis fait réveiller par des policiers qui avaient trouvé Mowgli dans la ruelle. Il s'était défait de certaines de ses possessions humaines. Il ne portait que des sous-vêtements sales. Confuse, à la fois par la réalisation que l'enfant était retourné à sa mère et par mon réveil hâtif, j'ai expliqué sommairement aux policiers ce qui s'était passé lors de ma rencontre initiale avec Mowgli en soulignant que j'espérais qu'il y ait un réel suivi auprès de la DPJ. J'ai ensuite passé la journée à me demander ce que j'aurais pu faire de plus et à m'interroger sur l'efficacité d'un système qui renvoie l'enfant de 4 ans chez sa mère après qu'il ait échappé à sa supervision et se soit promené seul dans les rues de Montréal plusieurs fois.
Cet après-midi, Mowgli est encore venu me rendre visite. Cette fois, il avait des vêtements propres, mais toujours pas de souliers. C'est dommage parce que ça lui aurait évité que la colle dans laquelle il a marché dans la cour du voisin aille se loger dans son bobo tout frais. J'ai appelé la police et rappelé à Mowgli où sont les autos dans la chambre de princesse. Pendant que je mettais du polysporin et un pansement sur le bobo de Mowgli, sa mère est apparue avec un policier dans mon cadre de porte. Elle nous a joué une scène aussi décevante que la dernière fois.
-Ben là! J'y en avais mis un plaster avec du polysporin à matin! Il l'a encore enlevé?!
-(dans ma tête) Madame, votre fils n'a pas de souliers! (à voix haute) Ben, il en aura eu deux fois aujourd'hui! Bonjour! (elle, elle avait oublié cette partie du discours)
-Je t'avais dit de pas sortir d'la cour. Voyons!
-C'est la troisième fois que je trouve votre fils cet été.
-Oui, il écoute pas! J'en parle avec la TS. Va-tu falloir que je te mette un harnais?
Et Mowgli et elle sont partis avec les policiers. Elle n'a montré aucune inquiétude vis-à-vis de son fils ni de gratitude à mon égard. J'ai passé un autre après-midi à me demander ce que j'aurais pu faire de plus et à m'interroger sur l'efficacité du système police-DPJ. Est-ce que ce type de négligence parentale ne nécessite pas un retrait immédiat du milieu en attendant qu'il soit capable de l'encadrer adéquatement? Je ne comprends pas qu'il soit possible qu'un enfant de moins de 5 ans se sauve de chez lui régulièrement et que l'on y renvoie toujours. Il y a un film de panique maternelle qui tourne dans ma tête sur toutes les possibilités de mauvaises tournures possibles aux escapades de Mowgli. C'est pas une comédie romantique. Si je le revois dans ma ruelle, je le garde et je le transforme en moussaillon. Il pourra être sauvage seulement quand nous le sortirons de Rosemont pendant les vacances.