mercredi 28 juillet 2010

L'enfant de la ruelle

Ma fille, dès qu'elle est libérée dans un espace plus sauvage que le quartier Rosemont, enlève ses souliers, se farde de boue et tente de dompter les éléments (ou les enfants qui croisent son chemin, ça varie selon l'humeur). Elle est magnifique à cet état sauvage. Elle se couvre de bleus, d'égratignures, de piqures d'insectes et de crasse, mais elle est si sauvagement heureuse que mon coeur de mère se trouve doucement soulagé du poids de la culpabilité d'une année à la bousculer dans une plage horaire qui n'a rien de maritime.

Récemment, j'ai fait la connaissance d'un autre enfant sauvage. Tout sauvage qu'il soit, celui-ci, ne fait pas le même effet à mon coeur de mère. Non, pas le même effet du tout. Le mois dernier, il m'est apparu dans la ruelle. Il jouait avec les enfants. Il y en a des tonnes dans notre ruelle et, la fin de semaine, quand ils ont de la visite en plus, il est difficile de garder le compte de qui est à qui et qui est avec qui. Quand les enfants ont commencé à rentrer et que je suis allée chercher la mienne, il était là. 4 ans, pieds nus, à la recherche d'une auto ou d'un cagnion. Je ne le reconnaissais pas. Aucun des autres parents non plus. Il disait s'appeler X, mais chez nous on l'appelle Mowgli. C'est trop triste qu'il ait un vrai nom. Je l'ai trainé avec moi, j'ai fait la tournée des voisins pour trouver son appartenance. Mowgli, lui, il n'était pas inquiet. Sa maison, quand je lui demandais de me l'indiquer, correspondait à toute habitation susceptible de loger une auto ou un cagnion. Recherche infructueuse. Premier constat: il n'était pas de notre ruelle. En le prenant dans mes bras pour le monter chez moi, j'ai aussi pu constater qu'il était plus que souillé. Le sac de vêtements de ma fille en route vers le Renaissance a été libéré d'un jean taille 4 ans. J'ai guidé Mowgli vers les jouets où il a réussi à extirper deux autos (mais pas de cagnion) du fouillis de poupées, de bébés et de costumes de princesse. J'ai appelé la police.

Quinze minutes plus tard, une policière était à ma porte. Elle m'a posé quelques questions et m'a informée au passage que ce n'était pas la première fois que Mowgli faisait une fugue impliquant la police. Alors que je reconduisais Mowgli à la voiture de police, sa mère est arrivée. Ç'aurait pu être un moment de retrouvailles émouvantes où la mère serre son enfant, vérifie qu'il n'ait subi aucuns sévices et remercie la femme qui l'a trouvé, mais sur le trottoir de ma rue ce jour-là, ce n'est pas cette scène-là qui s'est jouée. La mère, mauvaise comédienne, a plutôt tenté de jouer la carte «je défends ma crédibilité parentale». Elle a réprimandé Mowgli de s'être sauvé et de s'être changé de vêtements en plus! Elle n'a jeté aucun regard à la femme qui a évité les sévices à son enfant et est partie avec la policière.

Deux semaines plus tard, je me suis fait réveiller par des policiers qui avaient trouvé Mowgli dans la ruelle. Il s'était défait de certaines de ses possessions humaines. Il ne portait que des sous-vêtements sales. Confuse, à la fois par la réalisation que l'enfant était retourné à sa mère et par mon réveil hâtif, j'ai expliqué sommairement aux policiers ce qui s'était passé lors de ma rencontre initiale avec Mowgli en soulignant que j'espérais qu'il y ait un réel suivi auprès de la DPJ. J'ai ensuite passé la journée à me demander ce que j'aurais pu faire de plus et à m'interroger sur l'efficacité d'un système qui renvoie l'enfant de 4 ans chez sa mère après qu'il ait échappé à sa supervision et se soit promené seul dans les rues de Montréal plusieurs fois.

Cet après-midi, Mowgli est encore venu me rendre visite. Cette fois, il avait des vêtements propres, mais toujours pas de souliers. C'est dommage parce que ça lui aurait évité que la colle dans laquelle il a marché dans la cour du voisin aille se loger dans son bobo tout frais. J'ai appelé la police et rappelé à Mowgli où sont les autos dans la chambre de princesse. Pendant que je mettais du polysporin et un pansement sur le bobo de Mowgli, sa mère est apparue avec un policier dans mon cadre de porte. Elle nous a joué une scène aussi décevante que la dernière fois.
-Ben là! J'y en avais mis un plaster avec du polysporin à matin! Il l'a encore enlevé?!
-(dans ma tête) Madame, votre fils n'a pas de souliers! (à voix haute) Ben, il en aura eu deux fois aujourd'hui! Bonjour! (elle, elle avait oublié cette partie du discours)
-Je t'avais dit de pas sortir d'la cour. Voyons!
-C'est la troisième fois que je trouve votre fils cet été.
-Oui, il écoute pas! J'en parle avec la TS. Va-tu falloir que je te mette un harnais?

Et Mowgli et elle sont partis avec les policiers. Elle n'a montré aucune inquiétude vis-à-vis de son fils ni de gratitude à mon égard. J'ai passé un autre après-midi à me demander ce que j'aurais pu faire de plus et à m'interroger sur l'efficacité du système police-DPJ. Est-ce que ce type de négligence parentale ne nécessite pas un retrait immédiat du milieu en attendant qu'il soit capable de l'encadrer adéquatement? Je ne comprends pas qu'il soit possible qu'un enfant de moins de 5 ans se sauve de chez lui régulièrement et que l'on y renvoie toujours. Il y a un film de panique maternelle qui tourne dans ma tête sur toutes les possibilités de mauvaises tournures possibles aux escapades de Mowgli. C'est pas une comédie romantique. Si je le revois dans ma ruelle, je le garde et je le transforme en moussaillon. Il pourra être sauvage seulement quand nous le sortirons de Rosemont pendant les vacances.

mardi 20 juillet 2010

Maitrisé-je?

J'ai un rapport trouble à l'apprentissage. J'adore savoir de nouvelles choses, mais je ne fournis l'effort nécessaire à leur assimilation que si j'y suis contrainte... vraiment contrainte. Est-ce que la date de remise est ferme? Pour combien ça compte? Je pourrais pas faire compter le prochain travail pour plus? Oui, oui, je vous l'ai déjà envoyé par courriel...

Rassurée grâce à Monsieur Isaac Newton, je sais maintenant que je ne manque pas de persévérance. Au contraire, je respecte son principe d'inertie: « Tout corps, en mouvement rectiligne uniforme ou au repos, soumis à des forces qui se compensent, persévère dans son état. » Oh oui! Je persévère dans mon état statique de paresse intellectuelle si on ne m'oblige pas à m'y soustraire.

Or, ça fait trop d'années de bac en enseignement du français au secondaire que je fournis un effort intellectuel que lorsque j'y suis obligée (je vous laisse deviner combien de fois c'est arrivé!). Bientôt, j'aurai mon brevet et j'enseignerai le français à un ado près de chez vous. Syndrome de l'imposteure. Je suis l'enseignante incompétente des chroniques de Foglia. Je ne sais rien, mais j'ai une vague idée de comment l'étirer en mille et une activités. Je pourrais me dire que je pallierai cela une fois sortie de l'université, mais je sais bien que je ne lirai pas de livres de sociolinguistique un mardi soir après une journée de travail et une soirée de tâches momagères. Non, il faudra que je continue mes études. Pas les emmerdantes que je souffre depuis trop longtemps, mais les autres, celles qui m'obligeraient à apprendre, qui nourriraient mes neurones atrophiés d'inspiration et leur donneraient envie de partager le plaisir d'apprendre malgré et grâce à l'effort qu'il exige. Elles sont où ces études-là? Je suis la nunuche de la comédie romantique américaine qui attend le prince charmant universitaire ou est-ce que ça existe des cours d'université liés à l'enseignement du français qui soient pertinents?

Sans avoir à recommencer mon parcours universitaire en entier, deux options s'offrent à moi pour les cycles supérieurs:

1) La maitrise en didactique des langues
Pour: Elle n'exige aucune propédeutique. Donne des contacts en éducation.
Contre: Ça commence par «didactique» et je crains que ce soit encore de la bêtise d'éducation et que ça me cantonne aux sphères du monde de l'éducation.

2) La maitrise en linguistique
Pour: Ça ne commence pas par «didactique». Les titres des cours à suivre sont plutôt inspirants. Peut-être de meilleures possibilités d'avoir des charges de cours intéressantes après la maitrise.
Contre: Ça demande une propédeutique.

Sinon, la route certificats en différentes concentrations m'attire un peu. Je pourrais faire un certificat en linguistique, un en psychologie et un en études féministes ou en histoire de l'art. Ça ne me donnerait pas vraiment de meilleures possibilités d'emploi, mais ça améliorerait mes connaissances et mon salaire de prof si j'en terminais 2.

Je ne sais pas quoi décider.




samedi 10 juillet 2010

Une autre affaire de pirates à laquelle j'aurais voulu avoir pensé

Des littéraires avec trop de temps libre, des enfants qui peinent à maitriser leur langue maternelle et tout le nécessaire à la piraterie traditionnelle. C'est l'idée d'éducation la plus motivante que j'aie vue depuis longtemps. Sans sarcasme.

De la créativité, de la bonne volonté, de l'absurde, du gros bon sens et de l'honnêteté. C'est génial! Je veux être une pirate-enseignante. Je lâche le bac et je m'ouvre un bateau de piraterie grammaticale et littéraire. À l'abordage, prépositions!

Dans un cours de grammaire 1

Un automne des années 2000, je commence mon bac en enseignement du français au secondaire. Je m'attends à 4 années pénibles sur les bancs d'université. J'ai été avertie. Ma meilleure amie, celle qui était toujours de bonne foi et qui se plaignait rarement de la bêtise des exigences que le vie lui imposait, avait passé les 4 années de son bac en éducation à se plaindre de tout ce que comportait sa «formation». Et moi, naturellement rebelle et cynique, je n'ai aucune espèce d'idée de comment je vais faire pour passer à travers ces 4 années d'université sans suicide académique.

Lundi matin, grammaire 101 pour les futurs enseignants de français. Tout va bien. La prof est super! Elle fait des arbres de grammaire au tableau. Bon, je ne comprends pas grand chose pour l'instant, mais c'est plutôt chouette de faire des dessins avec l'analyse grammaticale. La prof parle vite et dans un jargon de grammaire nouvelle que je n'ai pas encore appris à apprécier, mais elle est inspirante. Je regarde autour de moi. Tous ont l'air attentifs. Pas de sacoches qui jasent de vernis à ongles. Peut-être m'avait-on mal informée... Quand tout à coup, la fille à côté de moi lève la main. Première question du bac. Je retiens mon souffle, pas elle.

-Ouin, mais pourquoi là que dans Je les mange, mange ça prend pas de S?

Et c'est parti pour 4 ans!

Si j'ai résisté au suicide académique, c'est que j'ai trouvé une bande de collègues aussi cyniques et rebelles que moi, qui refusent de se laisser bouffer par la médiocrité ambiante. Dans le lot, quelques chargés de cours et profs ont aussi fait la différence. Et surtout, les élèves que j'ai côtoyés dans les écoles m'ont donné envie de poursuivre et d'avoir ce foutu brevet.

vendredi 9 juillet 2010

Si seulement j'avais eu cette idée

Quand je fais de la suppléance dans les écoles secondaires de Montréal (expérience sociologique s'il en est une), je prends toujours le temps d'observer les livres que les jeunes ont sur leur bureau. Je me fais des statistiques informelles sur leurs habitudes de lecture. Les séries de romans sur les vampires ont assurément la cote. Filles et garçons dévorent (oui, oui, j'ai fait ce jeu de mots!) les Twilight et True Blood. Parallèlement, au primaire, c'est sur les pirates que les enfants capotent.

Quelqu'un, quelque part, a trouvé la solution pour pallier la faille dans le marché entre le lectorat du primaire et celui du secondaire parce que, sur le bureau d'une élève de 1re secondaire, j'ai trouvé un livre d'une série on ne peut plus commercialement hybride: Vampirates.

jeudi 8 juillet 2010

Euphémisme à la lunetterie New Look

Chum et moi entrons dans la lunetterie où il y a l'air climatisé. Je ne retiens pas un «Ah!» de relâchement de mon système de refroidissement interne. Et tant qu'à avoir la bouche déjà ouverte, j' enchaine pour la vendeuse:

-Je me suis assise sur les lunettes de mon chum! (Ici, je n'ai pas jugé nécessaire d'ajouter que c'était une forme de vengeance finement manigancée par une des zones moins sur-conscientes de mon être parce que ledit chum avait lui-même échappé mon cellulaire dans une bouche d'égout le jour 1 de sa cohabitation avec moi.)

Sans laisser le temps à la vendeuse de terminer son sourire de préparation à la parole, Chum lui tend les lunettes. Elles font pitié. Leurs branches, qui doivent normalement avoir l'inclinaison des prairies, ont maintenant celle de la courbe de croissance du nombre d'arrestations injustifiées pendant le G20. La vendeuse achève son sourire, en conserve un coin, me regarde et dit à l'homme qui se tient derrière elle:

-Mohammed, c'est pour un... ajustement.